Le Ministère de l’Energie a lancé une consultation des acteurs le 9 février 2020 pour leur soumettre un projet de ce que pourrait être la régulation du nucléaire après le mécanisme ARENH, mis en place en 2011 mais qui devrait s’achever fin 2025.

Le double objectif – continuer à faire bénéficier le consommateur français de l’avantage compétitif du nucléaire historique, et sécuriser financièrement l’exploitation du parc nucléaire- est bienvenu.

Mettre enfin le fournisseur historique à égalité avec ses concurrents et simplifier l’ARENH est également positif, mais gare à l’ARENH-bashing, et attention à laisser aux consommateurs la liberté de leur approvisionnement !

L’ARENH a contribué au développement de la concurrence sur le marché du détail français, avec de nombreux avantages pour la collectivité

En donnant accès aux fournisseurs alternatifs à de la production de base à un prix régulé, et surtout en forçant l’opérateur historique à proposer des offres également sur la base de ce prix, l’ARENH a permis un fort développement de la concurrence entre 2011 et 2020, avec une première atteinte du plafond de 100 TWh en novembre 2018.

Le développement de la concurrence a permis une baisse drastique des couts commerciaux et donc de la facture pour le client final : si les couts commerciaux du « tarif vert » étaient entre 3 et 4 €MWh au début du mécanisme, les marges actuelles sur les mêmes types de client ont été divisées par 5 ou 6, sous la pression de nouveaux opérateurs plus efficaces.

Plus efficace, mais aussi plus vertueux. L’existence de la concurrence est désormais nécessaire pour la mise en œuvre de la transition énergétique puisque celle-ci s’appuie désormais exclusivement sur des mécanismes de marché, lesquels ne peuvent fonctionner sans concurrence. Que seraient la sécurité d’alimentation, le prix des offres vertes, le marché des certificats d’économie d’énergie, avec l’ancienne structure monopolistique qui présentait, sur la demande comme sur l’offre, un seul acheteur et un vendeur ?

L’ARENH s’est révélé un mécanisme robuste, avec des biais limités, et au plein bénéfice des consommateurs français

L’ARENH n’a jamais mis exactement à égalité EDF avec les fournisseurs alternatifs, qui continuent à supporter des frais annexes (garanties, BFR, rationnement).

En revanche, la valeur optionnelle de l’ARENH (la possibilité pour un fournisseur de prendre, ou de ne pas prendre en fonction des prix de marché, de l’ARENH) a parfois été critiquée comme étant asymétrique au bénéfice des fournisseurs alternatifs, et au détriment de l’opérateur historique.

Certes cette optionnalité de l’ARENH n’avait pas été envisagée au départ ; mais la concurrence sur le marché du détail a permis d’en transférer la valeur aux clients finals, ce qui était bien l’esprit du dispositif.

En effet, les grands clients bénéficient contractuellement d’une clause de « swap ARENH » qui leur donne le choix, jusqu’à quelques jours avant le guichet, de sourcer leur consommation soit au marché, soit à l’ARENH. La valeur optionnelle à la main des fournisseurs se réduit alors à celle de la volatilité sur la dernière semaine précédant le guichet.

Quant aux clients dont la consommation est trop faible pour justifier la mise en place du « swap ARENH », ceux-ci bénéficient d’offres de marché, sans clauses de swap, mais dont le prix reflète très largement le bénéfice attendu pour le fournisseur de la valeur optionnelle. En d’autres termes, l’offre du fournisseur tient compte du fait que ce client générera, pour l’année suivante, un droit ARENH. A titre illustratif, une offre sur les PME/PMI faite en 2019 pour 2020 devait couramment, pour être compétitive, supposer 50% de droit ARENH à 42 €/MWh. Bien entendu, le fournisseur supporte alors le risque de rationnement et d’évolution du prix de l’ARENH.

Le nouveau mécanisme prolonge, sous une forme remaniée, ce mécanisme, avec des avantages indéniables

Le Ministère envisage dans sa consultation le mécanisme suivant :

  • Pour chaque année civile, l’opérateur nucléaire vend l’intégralité de sa production sur les marchés à terme, plusieurs années en avance, à un rythme et selon des modalités connues d’avance. Les fournisseurs sont libres de l’acheter ou non.
  • Le prix moyen de ces ventes anticipée est ensuite calculé pour chaque année de livraison. Ce prix moyen, s’il est supérieur (respectivement inférieur) à un prix plafond (respectivement plancher), donne lieu à une éventuelle contribution, en €/MWh, à verser (respectivement facturer) à l’ensemble des consommateurs français, via les fournisseurs

Cette sorte de « CSPE négative » (ou positive si les prix de marché étaient inférieurs au plancher) sera appliquée, en €/MWh, à la totalité des MWh facturés par tous les fournisseurs d’électricité, pour tous types de consommateurs, quel que soit l’approvisionnement de ces clients.

On le voit, on s’abstrait ainsi de la complexité de l’ARENH : clause de swap, risque de rationnement, asymétrie avec le fournisseur historique.

Certains principes doivent cependant être posés dès l’élaboration de ce projet :

Un principe de la liberté contractuelle des fournisseurs

Les fournisseurs ne peuvent être forcés à rentrer dans une telle contribution nucléaire qui, rappelons-le, ne finance pas une obligation de service public (la décision du 8 octobre 2014 de la Commission européenne sur Hinckley Point considère que la fourniture d’électricité de base ne peut pas être un Service d’Intérêt Economique Général).

Pour éviter d’éventuels allers-retours des fournisseurs, on peut imaginer que ceux-ci s’engagent, à l’instar de l’actuel contrat-cadre ARENH, sur un temps long. En revanche, certains fournisseurs doivent pouvoir s’abstraire durablement du dispositif afin de proposer, par exemple, des PPAs exclusivement verts, ou d’avoir une politique de prix déliée du calendrier d’enchères.

Une qualification juridique correcte de la contribution

Si toutefois elle revêtait une nature régalienne et non contractuelle, la nature juridique de la contribution devra également être regardée avec attention. En particulier, le fournisseur ne doit pas être considéré comme redevable, mais comme simple collecteur de la contribution, avec pour effet que les impayés des clients finals ne pénalisent pas indûment les fournisseurs.

Un principe de correcte allocation des ressources

La possibilité pour le parc nucléaire de bénéficier d’une compensation en cas de prix de marché très bas lui donne une incitation à produire quand bien même des moyens de production plus compétitifs seraient sur le marché. Afin d’éviter cette distorsion il convient :

  • De caler les bids du parc nucléaire à un niveau prenant en compte a minima le cout variable du nucléaire, mais également un mark-up lié à la compensation. La production nucléaire non dispatchée devra alors être modulée, ou valorisée par l’opérateur aux écarts, à ses frais.
  • De fixer la valeur du tunnel à un niveau suffisamment bas pour éviter de générer une compensation de nature à perturber significativement le merit order. La valeur de la capacité pour EDF devra notamment être pris en compte dans le niveau du tunnel.

Un principe d’égalité entre fournisseurs

La réforme envisagée n’a de sens que si la branche commerciale de l’opérateur historique est séparée réellement du parc nucléaire. Pour ce faire, l’unbundling légal (filialisation des activités de commercialisation et de production), comme prévu par le projet Hercule, devra se concrétiser.